Quand on parle des attentats on parle du nombre et du nom des personnes décédées, très peu des victimes et encore moins des familles qui doivent réapprendre à vivre avec un trou dans leurs vies. Le projet "Emma" raconte l'histoire d'une famille qui était sur la promenade des anglais le 14 juillet 2016. Alors que le père était resté en Bretagne pour le travail, Louise et ses 3 filles : Chloé 13 ans, Valentine et Emma, 8 ans étaient en vacances à Nice chez la sœur de Louise. Le camion a foncé sur elles. Emma n'a pas survécu, Valentine est restée paralysée et Louise a été gravement blessée et a eu besoin de mois de rééducation. 

Nous avons chacune eu un regard différent sur la façon dont la famille gère l'après. Là où l'histoire perd en cohérence elle gagne en richesse.

Lire la suite...

Ma chère Emma,

Voilà un an que tu nous a quittés

En pleines festivités de juillet

Un an depuis qu'un illuminé

Nous a privés de toi à jamais

Te souviens-tu, cette nuit la

J'ai crié après toi, belle Emma

J'ai serré Valentine dans mes bras

Mais toi tu n'étais déjà plus là

Ma sœur chérie j'ai posé une rose

Dans ce bois froid dans lequel tu repose

Ni les larmes, ni les vers, ni la prose

N'expriment assez notre métamorphose

Valentine, ta jumelle, ton âme sœur

La nuit se réveille en sueur

Elle a chaud, elle a mal, elle a peur

Elle sent le vide dans son cœur

Minuit sonne. Cela fait vingt minutes que Valentine s'est rendormie, bercée par mes bras. Je regarde la fenêtre désormais, assise sur le bord de mon lit, un carnet dans les mains. Nous sommes le 14 juillet mais personne n'a envie de faire la fête, surtout pas nous. Le drap bouge à côté de moi, je me retourne. Ma sœur dors, de légers mouvements secouent ses bras mais ses jambes restent figées. Paralysées. Je la regarde et j'entends crier, j'entends crier mes sœurs, écartées de la rue par un camion. J'entends crier Emma une dernière fois. C'était un 14 juillet comme tant d'autres diront certains. Pas moi. C'était nos premières vacances à Nice, nos premières vacances sans papa aussi, resté en Bretagne pour le travail. J'étais une ado de 13 ans typique : collée à mon téléphone, boudeuse. Je ne voulais même pas le voir ce feu d'artifice moi. Mais Emma et Valentine étaient surexcitées, ma mère et ma tante enjouées, je crois qu'un instant j'ai senti la joie qui m'entouré, j'ai senti mon cœur résonner au rythme de la musique que ma mère et ma tante avaient mise à fond dans la voiture pour me décrocher un sourire. L'instant d'après je me réveillais à l'hôpital, un coup à la tête m'ayant plongée dans un oubli salutaire. Ma tante était à côté de mon lit, elle lisait un journal. J'ai su tout de suite que quelque chose n'allait pas : les larmes dans les yeux de ma tante, l'absence de mes parents, de mes sœurs. -Valentine ? Emma? Ai-je demandé en tremblant -Valentine va s'en sortir ma belle. Emma.. Sa voix s'est cassée et j'ai compris. J'avais passé la porte aussi vite qu'on me le permit, pour rejoindre Valentine, les bras bandés, le drap couvrant le reste de ses blessures. A son chevet était mon père, il m'a serré si fort que j'ai eu mal et a pleuré. Il a parlé d'une voix faible que je ne lui connaissais pas. Il m'a parlé de la moelle épinière de ma sœur, sectionnée à jamais. Il m'a parlé de ma mère, allongée dans une autre chambre, blessée comme un soldat. Il a parlé de tous ses gens à nos côtés, il m'a parlé de la cruauté, de la peur, du sang et de la religion. Il m'a parlé comme jamais il ne m'avait parlé. -Tu comprends Chloé ? Tu comprends que tu vas devoir être forte ? Ma mère est restée des mois à l'hôpital, on a enterré sa fille sans elle. Depuis un an elle fait de la rééducation. D'abord en centre, tous les jours, maintenant les séances de kiné près de la maison lui permettent d'être plus disponible pour nous. Pour Valentine, qui a l'impression qu'une partie d'elle-même à disparu et qui sous ses rires et ses jeux souffre plus que nous tous. Valentine ta sœur, ton double, Valentine qui a perdu sa meilleure amie et ses jambes en un coup. Valentine qui vit bien plus que nous, qui rie, qui joue tout en n'étant que l'ombre de l'enfant qu'elle était..

Annaeus